lundi 11 mars 2013

Hugo Chavez et la "politisation de la misère"

Hugo Chavez avait dit à plusieurs reprises qu'il se voyait comme une figure de transition dans l'histoire vénézuélienne. Le temps le dira mais "le chef" – comme beaucoup l'appellent encore aujourd'hui – s'est d'ores et déjà invité au Panthéon des acteurs politiques d'Amérique latine en étant un des premiers à avoir compris et profité de l'explosion des périphéries urbaines du sous-continent.

Sa force est d'avoir très tôt prêté l'oreille au bruit sourd des quartiers délaissés, ces majorités silencieuses issues des barrios champignonnant autour et dans les zones grises des métropoles, et qui ne se sentaient pas représentés par les partis politiques traditionnels. Tribun habile, très vite adulé par les plus démunis et haï par les possédants, le Comandante a su trouver les mots et les gestes pour donner à cette périphérie une expression propre, "canalisant le discrédit des élus et des institutions dans un mouvement de redistribution immédiate des richesses", souligne l'ancien ministre brésilien et diplomate Rubens Ricupero.
L'OR NOIR COMME INSTRUMENT POLITIQUE
C'est là que Hugo Chavez, comme l'explique Alberto Barrera Tyszka, biographe non officiel de l'ancien président, a réussi à "politiser la misère". Là qu'il a mis en place un maillage social étroit, avec une multitude de nouvelles structures qui ont remplacé les services déficients ou inexistant, publics ou privés.
Avec plus de vingt "missions bolivariennes" créées depuis 2003, Hugo Chavez a su utiliser la manne pétrolière comme instrument politique et d'inclusion sociale. Durant ses treize années à la tête du pouvoir, la compagnie publique pétrolière PDVSA a versé 123,7 milliards de dollars aux programmes sociaux. Pour la seule année 2011, ils ont reçu 39,6 milliards de dollars, soit davantage encore que le programme phare brésilien Bolsa Familia (Bourse familiale) – le Brésil compte près de six fois plus d'habitants.
Ce transfert gigantesque de ressources a provoqué un impact négatif sur l'entreprise. De 3,2 millions de barils produits en 2005, PDVSA est tombé à 2,7 millions en 2011. Mais dans un même temps, il fut décisif dans la lutte contre la pauvreté. La proportion de miséreux est passée de 20,3 % de la population en 1998 à 7 % en 2011.
La refondation telle que l'avait formulé Hugo Chavez visait la réinvention d'une démocratie nouvelle, la participation directe et le recours fréquent au référendum populaire, dans "un système de gouvernement", écrit la Constitution de 1999, "où les citoyens sont des sujets actifs et des protagonistes de leur propre destin". Avec, en contrepartie, la possibilité de se représenter plusieurs fois de suite – il avait évoqué sa volonté de rester au pouvoir d'abord jusqu'en 2021, puis en 2030.
TENTATIVE DE RECONSTRUCTION IDENTITAIRE
Même si l'on peut douter que la société vénézuélienne se serait pliée de bonne grâce au désir publiquement annoncé par Chavez de garder les rênes du pouvoir aussi longtemps, son taux de soutien dans les barrios n'a que très peu évolué de son vivant. Malgré l'insécurité galopante, la corruption, l'absence totale de réformes structurelles et industrielles.
Chavez est le peuple. Le peuple est Chavez. Au-delà des slogans de rues, l'ancien président a su faire de sa personnalité une métaphore des nouvelles identités périphériques. Homme-miroir, il a tendu la main à un Venezuela désenchanté. Par calcul peut-être, mais surtout par force et clairvoyance. Par la faiblesse d'une opposition aussi, incapable de comprendre les changements en cours à l'ère de la mondialisation.
Chavez a su incarner une tentative de reconstruction identitaire d'un peuple spolié de sa propre histoire, ravagé par des décennies d'indifférence et d'abandon. Une identité complexe, aux racines mêlées et différentes de celle qui apparaissait alors sur les écrans de télévision. Celle qui semble assumer que la réalité au Venezuela est toujours plus compliquée qu'elle n'en a l'air. Non sans euphorie. Non sans une dose d'ivresse. C'est un peu tout cela que pleuraient ces centaines de milliers d'anonymes descendus pour la plupart des périphéries pour venir voir sa dépouille une dernière fois. L'enivrement prépare des lendemains tristes.

Source Le Monde.fr

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